"Je suis convaincu que le mariage heureux de l’homme et de la technologie, dans l’intérêt du client, va booster le marché", déclare Benoît PÉDOUSSAUT, président du comité exécutif de Seris, dans une interview à AEF info. Depuis sa nomination en octobre dernier, il met en œuvre un projet de "transformation" du groupe de sécurité privée visant notamment à "démultiplier" la capacité opérationnelle des agents par l’utilisation de technologies – vidéo, drones, robots, traitement de données. Après avoir réalisé un chiffre d’affaires de 650 millions d’euros en 2021, Seris a l'ambition d’atteindre un milliard d’euros d’ici cinq ans, "dont une moitié en croissance organique et l’autre moitié par des acquisitions", affirme Benoît PÉDOUSSAUT. Le groupe souhaite sortir de la compétition par les prix en adoptant un "positionnement premium", et en se recentrant "sur les industries à forts enjeux". |
AEF Info : Vous avez rejoint le groupe Seris comme Président du Comité Exécutif en octobre 2021, après avoir occupé plusieurs postes de management dans différents secteurs. Pourquoi cette évolution vers la sécurité privée ?
Benoît PÉDOUSSAUT : A 56 ans, j’ai effectué la moitié de ma carrière dans du développement commercial BtoB, avec une forte dimension internationale, chez Essilor ou dans le bâtiment chez Hilti, et l’autre moitié dans des transformations d’entreprises, à La Poste ou chez Sonepar. Ce qui m’a intéressé chez Seris, c’est le métier, une profession d’hommes, à forte intensité commerciale. Mais c’est également l’entreprise, une ETI familiale qui se développe à l’international, avec un vrai projet de transformation en cours. Ce qui est un peu ma spécialité !
AEF Info : Pourquoi le groupe se transforme-t-il ?
Benoît PÉDOUSSAUT : La sécurité privée est un métier où les attentes du client sont extrêmement élevées, alors que paradoxalement les entreprises ont du mal à vendre des prestations à des prix raisonnables. Les leaders du secteur, même ceux qui s’en sortent très bien, ne font objectivement pas partie des entreprises les plus rentables en France et en Europe. Les marges sont très contraintes, ce qui veut dire que nous n’arrivons pas assez à valoriser les prestations au bon niveau de prix.
AEF Info : En quoi consiste la transformation en cours chez Seris ?
Benoît PÉDOUSSAUT : Avant toute chose, la sécurité privée est un service sur lequel il faut être impeccable dans l’exécution. C’est un métier très exposé, dont on prend toute la dimension en général le jour où il y a un problème. Il faut un niveau de rigueur et de discipline absolues pour maintenir au quotidien une promesse très importante.
Sur la transformation, le premier enjeu est d’aller vers des prestations alliant le meilleur de l’homme et de la technologie. Nous vendons des heures de sécurité, qui coûtent de plus en plus cher à produire, alors que les effectifs se font de plus en plus rares. Il convient d’utiliser cette ressource rare avec parcimonie, en particulier là où la technologie ne pourra jamais remplacer l’homme. Je suis convaincu que l’homme sera toujours en situation de prendre les bonnes décisions en matière de sécurité, mais nous devons l’aider pour démultiplier sa capacité opérationnelle, le rendre plus efficace, faire en sorte qu’il intervienne plus vite, au bon endroit, et de manière plus sécurisée. Seris vient par exemple de mettre en place une solution de sécurité hybride sur une base militaire en Europe, avec une centaine de caméras et cinq à six gardes armés dans le PC de sécurité pour réagir aux alertes. La facture a baissé de 30 % pour le client. Je suis convaincu que le mariage heureux de l’homme et de la technologie, dans l’intérêt du client, va booster le marché.
Le deuxième enjeu est de mettre en place des processus beaucoup plus fluides. Le turn-over et le recrutement – nous recrutons plus d’un millier de personnes en Europe actuellement —, la paie, la prise en compte des heures supplémentaires, la facturation client, ou encore les prestations complémentaires demandent beaucoup de temps et d’administratif. Il y a matière à gagner en productivité avec le digital. Dans la continuité de ce que j’ai pu mettre en place à La Poste et chez Sonepar, cela va se traduire par des processus allégés, sans papier, avec plus d’interactivité. Le salarié doit pouvoir accéder à son planning depuis son téléphone, et il faut que nous puissions restituer l’information au client de manière plus rapide. La mise en place de portails salariés et de portails clients permettra d’accroître la productivité, mais également la satisfaction de tous les acteurs de la prestation.
AEF Info : Quelles sont les technologies de sécurité qui vous intéressent ?
Benoît PÉDOUSSAUT : Si on comparait notre métier à notre corps, la sécurité reposerait sur la parfaite synergie entre les yeux, le cerveau et les jambes. Cela implique d’utiliser des outils permettant de détecter des signaux, avec des caméras, éventuellement intelligentes, des drones, des robots autonomes, voire des capteurs olfactifs. Ensuite, il faut pouvoir traiter ces informations, de plus en plus nombreuses. La technologie peut apporter, par la puissance du calcul, une capacité à traiter les données et à les hiérarchiser qui va alimenter les jambes, c’est-à-dire la sécurité mobile et les agents de sécurité.
Le chaînon entre la technologie qui capte et l’homme qui agit est décisif : le traitement des données va être demain au cœur de notre métier. C’est un sujet sur lequel Seris investit beaucoup. Nous aurons certainement besoin de moins d’agents qu’aujourd’hui pour une même prestation. Mais ces agents créeront encore plus de valeur.
AEF Info : Comment impliquez-vous les salariés dans ces évolutions en matière de technologies de sécurité et de numérique ?
Benoît PÉDOUSSAUT : Par expérience, on arrive toujours à faire prendre les virages stratégiques aux équipes en place à partir du moment où on les embarque dans un projet qui donne du sens et qui leur ouvre des perspectives. Au sein du groupe, ce plan s’appelle "Impulse 2024". Les salariés ont la capacité de comprendre les enjeux parce qu’ils souffrent déjà souvent eux-mêmes de certains déficits ou de certaines lourdeurs, et sont donc souvent volontaires pour participer à la transformation. Je leur dis aussi que je suis venu pour faire le Seris de demain avec les équipes du Seris d’aujourd’hui, même si nous aurons bien sûr besoin de nous renforcer sur certains sujets techniques ou technologiques.
AEF Info : Cela passe-t-il par des actions de formation ?
Benoît PÉDOUSSAUT : Il y a un volet formation, en effet, mais également un volet mutualisation, qui est nouveau pour le groupe. Les entités de chaque pays travaillaient plutôt en silos, alors que nous avons des entreprises leaders, comme Seris en Belgique ou en Pologne où Seris a racheté Konsalnet en 2019. Quand on regarde la qualité de leurs solutions, il y a matière à constituer une vraie boîte à outils collective ! Nous favorisons l’échange de ces bonnes pratiques, ce qui va permettre également de donner du corps au groupe.
Concrètement, nous avons mis en place des webinaires sur ces solutions éprouvées, prêtes à l’emploi, avec la formation de chefs de projets. Par ailleurs, notre plan "Impulse 2024" s’appuie sur quatre piliers – conquête, efficacité, planète, équipe — qui se déclinent en douze chantiers, sur les technologies, la satisfaction des salariés, la digitalisation, l’inclusion, etc. Ces chantiers sont menés par des chefs de projets internationaux, qui agrègent les compétences et les avis de leurs collègues.
AEF Info : Quelles sont les ambitions économiques de Seris ?
Benoît PÉDOUSSAUT : Après avoir réalisé un chiffre d’affaires de 650 millions d’euros en 2021, l’objectif est d’atteindre un milliard d’euros dans les cinq prochaines années, dont une moitié en croissance organique et l’autre moitié par des acquisitions. Nous souhaitons également doubler la rentabilité du groupe, car la technologie et la digitalisation coûtent cher, et il nous faut continuer à investir.
AEF Info : S’agissant de la croissance externe, quelles sont les perspectives ?
Benoît PÉDOUSSAUT : A l’échelle mondiale, Seris est présent dans neuf pays, plutôt à maturité économique. Nous souhaitons consolider le groupe dans ces pays avec nos moyens financiers car la sécurité est un métier de taille critique et nous ne voulons pas nous disperser avec de petites opérations. Par ailleurs, Guy Tempereau, le fondateur de l’entreprise, a toujours souhaité investir dans des pays en devenir. C’est une prise de risque, qui peut être payante si elle permet de s’implanter parmi les premiers. Nous avons déjà investi dans plusieurs pays africains – parfois en guerre — comme la République centrafricaine, la Côte d’Ivoire, le Niger, ou le Gabon.
Seris détient également 46 % du capital d’Amarante International, qui a été la première société occidentale à revenir à Kaboul en 2021 après la prise de pouvoir des talibans. C’est une entreprise avec laquelle je souhaite renforcer les liens car leur niveau d’expertise sur des dossiers sensibles ne peut que nous tirer vers le haut.
Plus largement, je crois beaucoup dans les partenariats, car personne ne peut être bon sur tous les sujets. Nous commençons à travailler avec des start-up et des entreprises spécialisées dans l’intelligence artificielle, les drones, ou les robots, comme Hoverseen, Enova Robotics, Rovenso, XTR Drone, ou Kooi. Cela permet un enrichissement mutuel et surtout une agilité dans le déploiement des solutions. Aujourd’hui, on sait que ce ne sont plus les gros qui mangent les petits mais les rapides qui avalent les moins véloces…
Face à des groupes internationaux comme Securitas qui rachète Stanley Security ou Allied Universal qui vient de faire l’acquisition de G4S, Seris doit se positionner certes comme un acteur international mais surtout mettre en avant la singularité de son modèle : la taille de notre groupe familial nous permet d’investir pour rester en permanence à la pointe de la technologie tout en préservant une agilité liée à notre culture de proximité avec nos clients.
AEF Info : En France, le groupe semble moins présent dans la distribution qu’auparavant. Y a-t-il une volonté de réorienter la stratégie commerciale ?
Benoît PÉDOUSSAUT : Avec un positionnement premium comme celui que nous essayons d’avoir, nous ne souhaitons pas nous épuiser sur des appels d’offres basés sur les prix. Seris va se recentrer sur les industries à forts enjeux, comme les centrales nucléaires ou les sites Seveso, les immeubles de grande hauteur, les sites militaires. J’observe qu’il y a de plus en plus de clients qui sont prêts à se payer une sécurité sans compromis sur les prix.
AEF Info : Dans un contexte de manque d’effectifs, comment Seris peut-elle tirer son épingle du jeu pour attirer des agents ?
Benoît PÉDOUSSAUT : Toutes les entreprises à forte intensité de main-d’œuvre ont cette difficulté et nous n’échappons pas à la règle. Mais ce n’est pas une excuse pour ne pas être intransigeant dans le recrutement, car une faille peut se payer très cher. Pour moi, la solution se trouve dans la formation. La règlementation nous impose un socle minimal, mais nous pouvons proposer des modules spécifiques, sur les sites sensibles par exemple. Nous voulons aussi offrir des ascenseurs sociaux pour faire progresser nos agents. L’ancienneté est assez importante chez Seris. Les salariés sont attachés au groupe, qui a su leur offrir des perspectives de carrière : 90 % des mobilités internes sont des promotions.
Il faut rendre la sécurité privée intéressante et attractive. Pour les agents de sécurité, mais également pour d’autres métiers. Les ingénieurs, les techniciens, ou encore les spécialistes du développement durable doivent savoir qu’ils peuvent exercer dans la sécurité, et ainsi nous aider à réussir notre transformation.
AEF Info : Comment le groupe appréhende-t-il le sujet des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ?
Benoît PÉDOUSSAUT : Toute la profession garde en tête ce qu’il s’est passé aux JOP de Londres en 2012 avec G4S. Pour 2024, environ 20 000 agents devraient être nécessaires, or c’est le nombre de personnes qu’il manque déjà dans le secteur aujourd’hui. Aucune entreprise ne peut avoir la prétention de répondre seule aux appels d’offres, c’est un challenge qui ne pourra se traiter qu’à l’échelle de la profession. Les sociétés de sécurité privée ont tout intérêt à adopter une approche intelligente et collective, ce qu’elles semblent faire. Il n’y a pas de place pour des francs-tireurs sur un dossier de cette sensibilité.
AEF Info : Seris France a noué un partenariat avec l’Institut français de sécurité pour la formation d’agents de sécurité armés en catégorie B et D. Comment cette offre a-t-elle été conçue ?
Benoît PÉDOUSSAUT : La clarification de la loi sur l’armement des agents de sécurité privée a été une bonne chose. On peut faire confiance aux entreprises sur ce point car cela fait longtemps qu’elles maîtrisent le sujet de l’arme : les convoyeurs de fonds sont armés depuis des années, sans dérapage à déplorer.
Nous sommes en capacité de proposer des prestations armées depuis début janvier. À l’heure actuelle nous avons une dizaine de personnels formés en France. Notre première mission a été mise en place sur un site public en région parisienne, et nous travaillons d’ores et déjà avec d’autres clients intéressés dans le sud du pays et en outre-mer. Nous allons également proposer à nos clients cette nouvelle prestation afin qu’ils puissent renforcer la sûreté de leurs sites avec des équipes armées.
Nous espérons développer cette activité, qui fait partie de notre offre globale, à la veille des évènements sportifs que la France accueillera durant les prochaines années. Cependant, cela reste un micro-marché qui va concerner quelques bases militaires, sites sensibles, ou parcs d’attractions.
AEF Info : Comment envisagez-vous l’avenir de la sécurité privée en France ?
Benoît PÉDOUSSAUT : Plus le monde économique se développe, plus il y a un besoin de sécurité, donc la dynamique est favorable. Mais le métier souffre d’un déficit d’image qu’il est important de traiter avec sérieux. Nous devons agir pour que nos métiers soient reconnus à leur juste valeur. Il faut faire attention à la qualité du personnel, le payer correctement, et le former. Le sérieux de ce métier sera la condition de son développement, et il faut de la rigueur dans l’exécution pour se ménager des manœuvres financières afin de gérer les transformations nécessaires. Si on parvient à relever ces challenges, c’est un secteur qui a de belles années devant lui.
Reproduction intégrale avec l'aimable autorisation d'AEF Info. DÉPÊCHE N°667683 par Marie DESRUMAUX.